- Entretien téléphonique avec Leïa Abitbol.
Leïa Abitbol est la fondatrice d’ALDERANE, une structure qui conseille les entreprises et les zones d’activités dans le domaine de l’écologie industrielle. Aujourd’hui, elle continue d’y travailler en tant que responsable de projets. Après la lecture de sa thèse, Initier des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d’écologie industrielle et territoriale. Une relecture en termes de sociologie de la traduction et de la théorie des objets frontières, nous avons décidé de la contacter pour obtenir des précisions sur sa vision du développement actuel, mais surtout des perspectives de développement de l’écologie industrielle, afin d’identifier les éventuels leviers ou freins principaux des démarches d’écologie industrielle et territoriale. Cet entretien est le premier à avoir été réalisé, et il l’a été alors que nous n’avions pas encore figée le problème de notre travail. C’est pourquoi il aborde la question sous un angle non pas régional mais plus global. Toutefois, nous avons décidé d’en proposer l’analyse car il apporte des éléments de réponse que l’on peut appliquer au cas régional de Rhône-Alpes, mais également car il nous a beaucoup aidé à constituer notre problématique finale.
Pour commencer cet entretien, nous avons parlé d’une question qui nous paraissait centrale dans notre revue de littérature, à savoir la possibilité de reproduire le modèle de Kalundborg à une plus grande échelle. Pour elle, la question de la proximité est essentielle car les acteurs ont besoin de se connaître. Ils doivent se rencontrer et échanger pour se faire confiance avant de rentrer dans ce type de démarche. De plus, il est aussi ressorti sur ce point que sur certains matériaux, les grandes distances n’avaient pas de sens, comme pour le carton par exemple, et que si pour d’autres cela aurait pu être intéressant (cas de synergie chimique en B to B par exemple), son expérience lui a montré que les éco-parcs étaient définitivement ce qui existait de plus efficace. Pour finir, nous avons abordé la question du programme NEILS au Royaume-Uni, qui est un programme national, mais nous avons vu que même ici, le programme se déclinait en sous-pôles régionaux, et qu’il s’agissait donc plus de relations entre des « petites bulles » (pour reprendre son expression) que d’un programme national, c’est à dire des petits parcs industriels.
Ainsi, si dans sa thèse Leïa insistait surtout sur la difficulté de coordination entre les différents acteurs décisionnaire d’une entreprise comme frein pour le développement d’une synergie à grande échelle, nous avons mis en évidence au cours de cette discussion que la question de la confiance et de la communication entre les acteurs était centrale dans le processus de synergie industrielle, ce qui limitait un éventuel développement à grande échelle.
Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la question d’un éventuel médiateur, pour favoriser la mise en place d’échanges entre les acteurs et le développement de la confiance. Pour Leïa Abitbol, ce médiateur est fondamental à toute démarche d’écologie industrielle. Sur la question de l’identité de ce médiateur, elle déplore que le secteur public ne soit pas plus investi dans le domaine. Par exemple, aucun département spécifique n’a été créé et les rares médiateurs publics employés sont en fait des médiateurs privés sous contrat avec des collectivités. Ainsi, elle pense que le domaine public doit plus s’investir, dans une démarche de transition verte, pour impulser et accélérer le processus de développement de l’écologie industrielle.
Cette dernière remarque nous a amené à nous intéresser aux motivations des entreprises qui souhaitent s’investir dans des démarches de synergie industrielle, ou du moins aux arguments susceptibles de les convaincre. Pour Leïa Abitbol, il ne faut pas trop compter sur la conscience écologique des décisionnaires. Le médiateur doit insister sur la rentabilité économique de la démarche pour les entreprises. Le client n’est pas non plus une motivation particulière, puisque il n’est pas toujours au courant du processus de production des entreprises. Pour elle, il n’est ni un frein, ni réellement un moteur dans ce processus.
Pour finir, nous avons discuté du passage à l’action dans les projets, de leur mise en place, de ce qui était difficile et poussait tant de projets à ne jamais franchir ce cap. Pour elle, le plus dur est d’arriver à la rencontre finale entre tous les acteurs, car souvent, par manque de moyen et de volonté, les projets s’effondrent à l’étape de recherche et d’étude pour montrer leur rentabilité (on retrouve là encore l’importance des médiateurs, réellement au cœur du processus). Pour elle, les experts et acteurs du processus doivent trouver des sujets pratiques, qui intéressent les entreprises : elle est convaincue qu’un travail « hors-sol » est ici inefficace. Ensuite, une fois que la rentabilité est démontrée à des entreprises qui se connaissent et se font confiance, le projet va se mettre en place. Cependant, la difficulté est de maintenir ensuite la dynamique à l’échelle du territoire, car il manque des acteurs formés et compétents, et du financement (on retrouve ici la conviction que le public doit être présent dans ces domaines pour impulser le changement).
- Réponses de Suren Erkman à nos questions (conversation par mail).
Suren Erkman travaille actuellement à l’Université de Lausanne, plus précisément à la Faculté des Géosciences et de l’Environnement, dans le groupe travaillant sur l’Ecologie Industrielle. Etant donné que nous avions lu son ouvrage Vers une écologie industrielle, et que celui-ci avait apporté de nombreuses informations, nous avons jugé opportun de lui poser quelques questions en complément. En effet, nous étant focalisés davantage sur les leviers de l’écologie industrielle, nous lui avons tout d’abord demandé s’il pense qu’il est nécessaire qu’une personne « impulsant » le projet, un « coordinateur-motivateur », soit présent. De fait, cela nous permettrait de comprendre davantage la question de la motivation à impulser l’écologie industrielle. A qui appartient le rôle de promouvoir ? Aux politiciens, aux chefs d’entreprises ou bien plutôt aux actionnaires ? Y a-t-il une demande des consommateurs ou bien leur manque d’intérêt rebute-t-il les industriels à lancer des projets d’une telle ampleur ?
Suren Erkman nous a tout d’abord répondu qu’Il n’existe pas de recette générale valable partout. La dynamique de projets d’EI (Ecologie Industrielle) varie beaucoup selon le contexte politique, culturel, institutionnel, etc. Il a tout de même formulé un principe général de manière un peu théorique: il faut que quelqu’un (une personne, une organisation) prenne soin du «système», c’est-à-dire au-delà des intérêts d’une entreprise ou d’une entité particulière, mais à l’échelle collective, systémique.
En pratique, on observe trois grands modèles (et des variantes entre eux naturellement): « bottom up », « top down », et « hybride ». Kalundborg est typiquement du « bottom up »: initiative des entreprises, pas de subventions, pas d’intervention de l’Etat. La Chine est typiquement du « top down »: les instructions viennent d’en haut, etc. La France est un peu dans une situation similaire, au sens où personne ne veut prendre l’initiative sans le soutien des pouvoirs publics. La Suisse, l’Allemagne, etc. sont des bons exemples d’approches dites hybrides: un savant mélange des deux, les pouvoirs publics se limitent en général à créer des conditions cadres qui favorisent l’émergence et la réalisation de projets d’écologie industrielle.
Cela dit, on constate quelques éléments réguliers, comme la présence et l’implication d’un centre de recherche/innovation (pas forcément académique, il peut être privé) ; et le rôle moteur joué souvent par des associations d’entreprises et/ou des gestionnaires de zones industrielles.
- Entretien téléphonique avec Fanny Schnur.
Mme Schnur s’occupe principalement de l’aménagement du territoire sur les sites du Bourget et de Chambéry Métropole (150 ha). Elle essaye d’incrémenter des technologies nouvelles, répondant à des exigences de développement durable, dans les problématiques d’aménagement du territoire. L’entretien avec Fanny Schnur nous a permis d’aborder différents points importants pour répondre à notre problème. Le premier point est celui de la communication.
Selon le témoignage de Mme. Schnur, les difficultés de communications entre les pilotes d’un projet et les différentes entreprises qui y participent ne sont que très rares. En effet, elle souligne le fait qu’en tant que responsable de certains projets d’écologie industrielle, elle s’adresse aux entreprises dans un langage très « pratico-pratique ». En d’autres termes, les entreprises comprennent très bien les projets car elle s’adresse à elles dans un langage qui leur est propre, c’est-à-dire technique et économique. C’est pourquoi les entreprises comprennent parfaitement la démarche et les objectifs de celles-ci. Néanmoins, les entreprises ont beaucoup de mal à comprendre que les démarches soient aussi longues, et aimeraient que l’application des prises de décisions soit plus rapide.
En ce qui concerne la gouvernance d’un projet d’écologie industrielle, Fanny Schnur nous a expliqué que les entreprises participent beaucoup aux prises de décisions. En effet, elles participent grâce au conseil de décision, mais sont également concertées lors de nombreuses phases, et ce à tous les étages. Enfin, il existe aussi un comité de pilotage du projet, où les entreprises sont présentes. Par ailleurs, Fanny Schnur a insisté sur le fait que l’on ne peut rien imposer aux entreprises. Ainsi, les entreprises ne participent et ne s’engagent que lorsqu’elles trouvent un intérêt concret et identifié dans la démarche. La plupart du temps, cet intérêt n’a pas de lien avec une conscience environnementale ou la volonté de répondre à l’intérêt collectif et général ; même si certains entrepreneurs partagent toutefois des conceptions environnementales, ce n’est certainement pas le premier moteur de leur engagement).
Les entreprises présentes sur le site de Savoie Technolac ne sont pas nécessairement similaires. En effet, même si la majorité des entreprises constitue un tissu de PME assez dense, il y a aussi des groupes mondiaux et des grands centres de recherches.
Comme tous nos interlocuteurs, Fanny Schnur a insisté sur le fait que la présence d’un médiateur, d’un acteur public ou parapublic, est indispensable. En effet, elle explique que les entreprises dialoguent très peu entre elles. Il est très rare que des relations se nouent naturellement, et la présence d’un agent tiers est indispensable, ne serait-ce que pour organiser les différentes rencontres entre les acteurs. Toutefois, les projets se réalisent bien plus rapidement lorsqu’ils sont portés par des partenaires et investisseurs privés, car ils attendent une concrétisation bien plus rapide. Par exemple, sur le site de Chambéry, un projet de récupération d’énergie fatale soutenu à hauteur de 6.5 millions d’euros par un acteur privé a vu le jour assez rapidement et devrait se concrétiser en 2016 (les détails sont présents dans l’annexe correspondant à cet entretien).
Les accords ne sont quant à eux pas nécessairement encadrés par un contrat formel. Toutefois, lorsqu’il s’agit de créer des synergies entre différentes entreprises sur des « process critiques », c’est-à-dire des process fondamentaux et au cœur de l’activité (tels que l’approvisionnement en ressources ou en énergie), alors les entreprises ont beaucoup plus de mal à adhérer au projet. Et à cet égard, Fanny Schnur nous a proposé une analyse très intéressante. La première explication que l’on donnerait à priori à cette réticence est le manque de confiance. En effet, il peut sembler hostile de se nouer dans une relation de dépendance avec une autre entreprise dans le but de créer une synergie, ce qui nécessite un très haut niveau de confiance. Toutefois, Fanny Schnur souligne qu’il n’est pas tant rationnel de faire plus confiance à un fournisseur étranger et parfois inconnu, plutôt qu’à un partenaire proche localement et avec qui on peut facilement entrer en contact. De plus, la probabilité qu’un partenaire ne puisse pas assurer son rôle dans une synergie n’est pas nécessairement plus élevée que la probabilité qu’un fournisseur flanche et ne remplisse pas sa part du contrat dans une relation marchande classique. Si les entreprises sont donc réticentes à mettre en place des synergies d’écologies industrielles sur le process critiques, ce n’est pas, selon Fanny Schnur, par manque de confiance, mais bien à cause d’un autre frein qu’elle qualifie de « psychologique ». Ce frein, selon elle, renvoie au fait que les entreprises s’inscrivent dans des schémas de production classiques, et qu’elles ne cherchent pas d’autres modèles, par réticence face au changement ou par méconnaissance des alternatives. L’une des solutions, qui nous est apparue suite à cette entretien, résiderait peut-être dans l’accroissement d’une intervention publique afin d’informer et d’essayer de modifier la perception de l’écologie par les entrepreneurs, de manière à les rendre plus ouverts au changement et à ces alternatives. Car, pour reprendre une formulation prononcée par Fanny Schnur au cours de l’entretien, finalement, « le changement est ce que les gens veulent bien accepter ».
Enfin, Fanny Schnur nous a expliqué de quelle équation compliquée résulte un projet d’écologie industrielle en terme d’aménagement. En effet, un plan d’aménagement se réfléchit généralement sur 20 à 30 ans. Néanmoins, le progrès technique et les innovations technologiques se font beaucoup plus rapidement, et ne sont pas prévisibles à l’avance. C’est pourquoi, même si un aménagement se prévoit à long terme, il faut tout de même ménager des « portes de sorties », c’est-à-dire ne pas tout prévoir à l’avance, afin de ne pas constituer un cadre trop rigide et permettre l’introduction de technologies et projets qui n’étaient pas prévus initialement. « Il faut mener des choses structurantes, qui permettent tout de même le changement », ce qui est loin d’être aisé. Par ailleurs, souvent, l’origine d’un pôle d’écologie industrielle est un petit noyau d’entreprises, auquel viennent par la suite s’agréger une multitude de compétences supplémentaires. Ainsi, tout n’est pas prévu à l’avance, et certains process viennent parfois se greffer au pôle alors qu’ils n’étaient initialement pas prévus.
- Entretien téléphonique avec Florence Charnay, Chef de Projet économie circulaire en Région Rhône-Alpes
Le rôle de Florence Charnay est, selon elle, « d’acculturer les entreprises et les relais à l’économie circulaire » ; elle est par ailleurs chargée de mission dans l’environnement pour accompagner les entreprises, avec la thématique de l’écologie industrielle. C’est pourquoi nous avons décidé de l’interroger, car Madame Charnay semblait être un acteur connaissant parfaitement l’Etat d’avancement de l’écologie industrielle dans la région choisie.
Nous avons tout d’abord voulu savoir si elle pensait que la région Rhônes-Alpes est propice au développement de l’écologie industrielle. C’est-à-dire en ce qui concerne les moyens développés, les entreprises présentes sur le territoire, l’envie des partenaires. Florence a répondu qu’effectivement, nous sommes sur un tissu riche d’entreprises, un tissu d’acteurs et de relais régionaux (notamment les pôles de compétitivité), avec des centres de recherches très dynamiques, qui se sont emparés très tôt de la thématique ; bien que sans forcément la nommer de cette façon (sous-entendu le terme « écologie industrielle ») ; et la région a accompagné une étude en 2007 sur la vallée de la chimie, depuis elle poursuit un accompagnement sur les initiatives de territoire.
On observe une montée en compétence et en expertise, grâce à un état des lieux réalisé en 2012 sur la région. Cela a permis de voir que des territoires veulent se lancer, mais qu’il n’existe pas de politique pour les accompagner. De ce fait, la région a lancé un appel à projets en 2013 ; qui a rencontré deux lauréats : AIR – qui a conduit beaucoup d’actions : des fermes solaires et d’autres projets de ce type vers Meyzieux-, et un territoire plus rural, Biovallée – qui a tout d’abord été très dynamique puis a rencontré quelques problèmes, donc l’animateur est parti mi-octobre, ce qui a impliqué que maintenant le projet a du mal à se réaliser. Ces deux lauréats ont conduit des projets durant deux années.
C’est pourquoi nous avons ensuite voulu savoir s’il y a des « animateurs », des lanceurs de projets qui sont nécessaires à l’impulsion de ces projets. Selon Florence, il est compliqué de dire quelle personne est clé, car chaque territoire possède ses propriétés, ses acteurs. De plus, la thématique de l’écologie industrielle recouvre aussi tous les entrants et les sortants, la mutualisation de l’équipement.
L’écologie industrielle est donc un thème très vaste, par contre s’il y a déjà une dynamique formelle ou informelle, (comme une association pré-existante, ou une zone d’activités, ou encore une association citoyenne qui met en œuvre de nombreuses actions, ou bien chambre consulaire, etc ) cela dynamise, « fait monter la sauce ». Voilà pourquoi la région Rhône-Alpes finance un animateur, qui a rôle clé, c’est une sorte de « chef d’orchestre » pour sensibiliser les entreprises et aller vers les collectivités.
Pour poursuivre l’entretien, nous avons ensuite demandé à Florence si la région détenait un budget destiné à l’écologie industrielle ou bien si c’était un domaine trop vaste pour définir précisément comment allouer cet argent. Il n’y a apparemment pas de ligne budgétaire spécifiquement allouée. Cependant, les chargés de mission ont lancé des expérimentations autour de Grenoble avec une méthodologie composée de quatre territoires pilotes dont le Rhône-Alpes, avec la méthode anglaise « National Program », de façon à avoir la région comme terrain d’expérimentation.
Aussi, nous avons souhaité savoir si Madame Charnay, qui se trouve au cœur du lancement des projets, a rencontré beaucoup de réticence au changement que nécessite la mise en place de l’écologie industrielle. D’après Madame Charnay, la région a justement des retours d’expérience là-dessus, notamment grâce à un état des lieux opéré en 2014 : si les entreprises n’ont pas fait d’analyse préalable pour savoir les flux entrants et sortants, l’optimisation qu’elle peut réaliser elle-même (par exemple: sur la chaleur fatale qui peut être récupérée en interne), alors elle ne peut pas se lancer dans une synergie. Il faut donc d’abord qu’elle fasse son propre diagnostic, pour voir ce qu’elle peut valoriser en interne et après aller voir les autres entreprises, sinon elles sont réticentes.
Bien qu’il y ait un gain économique, dès lors qu’une entreprise a une incertitude, alors elle sait que si l’autre entreprise partenaire s’effondre, la première devra trouver d’autres partenariats. Il ne faut pas oublier que l’entreprise se situe dans une relation « business », c’est-à-dire qu’elle doit faire rentrer de l’argent, on ne peut donc pas avancer des arguments environnementaux, il faut d’abord faire preuve d’une entrée « économique » à venir, il est nécessaire de parler d’entrée de jeu d’un gain si l’on souhaite accrocher l’entreprise.
Pour informer les entreprises sur les possibilités de synergies industrielles, des avantages qui en découlent, la région Rhône-Alpes passe par des structures régionales, des chambres consulaires, mais aussi des pôles de compétitivité, car ce sont eux qui font de la communication, qui connaissent les entreprises pour les orienter au mieux. Depuis 2013 le Conseil Régional a créé des dispositifs ; il possède dorénavant des outils, avec pour objectif de créer un réseau en 2016. Celui-ci permettrait aux entreprises de se connaître, d’échanger et de pouvoir capitaliser, puisque toutes n’ont pas les mêmes manières d’appréhender l’écologie industrielle.
Alors, sous quelle forme se présenterait ce réseau ? Un bureau d’études existe, avec des thématiques, mais également des journées de formations et autres pour pouvoir recueillir ces actions, et aussi capter les territoires non identifiés qui sont en démarche et qui veulent « rentrer dans la boucle ».
Ensuite, étant une actrice du Conseil Régional, nous lui avons demandé si elle pensait que les projets privés fonctionnent mieux que les projets impulsés par la région. Madame Charnay affirme qu’elle est sûre que les synergies ont plutôt lieu entre entreprises privées ; par contre elles peuvent par ailleurs exister entre privé et public. Elle a notamment cité l’exemple à Meyzieux d’une entreprise privée qui a un surplus de vapeur à côté de la piscine municipale. Ainsi, une étude est en place concernant la faisabilité d’utiliser cette chaleur pour la piscine.
Cela reste au stade d’objet d’étude, mais ce qu’il faut noter est que bien souvent, les entreprises privées sollicitent des fonds publics pour « un coup de pouce financier », afin de réaliser leur projet. Voilà pourquoi le Conseil régional met en œuvre une mission de service public : il permet à la fois de sensibiliser sur la thématique et aussi de créer des études de faisabilité, et à la fois d’aider les entreprises à passer à l’acte pour réaliser le changement. Le travail préalable du Conseil Régional est nécessaire car le processus d’écologie industriel est « long à sortir », notamment par le besoin au préalable d’études réglementaires.
De façon à répondre à nos questions toujours en suspens, nous avons souhaité savoir s’il existe un projet pour renseigner davantage les ingénieurs sur le sujet, si cela semble vraiment nécessaire au développement de l’écologie industrielle. D’après notre interlocutrice, ce sujet est tellement vaste, que certes l’écologie industrielle est apparue dans les programmes de certains Master, mais que cependant il reste encore du chemin à parcourir pour sensibiliser les ingénieurs. Il y a encore du « boulot de communication », pour acculturer les entreprises à cette thématique.
De plus, la thématique étant tellement récente et sans recul, qu’il faut montrer aux entreprises des retours d’expérience pour qu’elles soient incitées à se lancer. C’est pourquoi nous lui avons demandé si un exemple de synergie ayant fonctionné dans la région pourrait servir de modèle aux entreprises frileuses de se lancer dans le projet. Florence a alors rappelé que ce sont des démarches administratives longues à installer, qui demandent du temps. Personne ne détient donc encore de retour concret.
Pour autant, il existe une plateforme chimique GIE, un groupement de terrains économiques, qui est une sorte d’association qui propose des services pour les déchets, la cantine, la sécurité. Cette plateforme OSIRIS (association qui est déjà ancienne) s’est séparée ; mais au fur et à mesure les utilités des différentes entreprises entre elles sont restées intactes, la synergie a continué de fonctionner.
Cependant cet exemple reste à relativiser car il est particulier au contexte chimique donc pas reproductible pour toutes les synergies d’entreprises. Ensuite, nous avons voulu connaître son point de vue sur la façon dont les synergies se créent entre plusieurs entreprises, et si selon elle la mise en place d’un contrat est obligatoire.
Sa réponse fut très intéressante : Non, cette mise en place n’est pas nécessaire, car s’il y a vraiment trop de règles au début, les industriels ne sont pas incités à se lancer dans le projet. Par exemple, Kalundborg s’est lancé « autour d’une bière le soir », en toute convivialité. Dès lors qu’il y a trop de contrats, les entreprises ne veulent pas s’intégrer, car elles ont besoin de se laisser la possibilité de partir, cela les rassure.
Pour autant, quand les deux parties sont d’accord, il faut bien conventionner entre les deux pour que la répartition des frais et tâches soit claire. Cependant leurs données sont confidentielles : elles n’ont pas à transmettre tous leurs résultats à l’autre entreprise.
Ainsi, le contrat n’arrive-t-il pas tout de suite, il faut dans un premier temps que la confiance se mette en place, « on écoute, on discute », ce qui est assez aléatoire d’une synergie à l’autre. On ne peut donc pas structurer cette entente dans un cadre qui a des conventions ; par contre une fois que les deux entreprises ont identifié une action, là le contrat peut être mis en œuvre, mais sinon la relation est tellement aléatoire que ça « ne rentre pas dans les clous ».
Cela signifie que, puisqu’il s’agit de relations humaines, il est très difficile de les gérer dans un premier temps de façon contractuelle. C’est seulement une fois que cette étape de confiance est mise en place qu’on peut ensuite rentrer dans des questions de coûts, de durées, inscrire noir sur blanc la relation, et alors on passe à une étape très rationnelle. Dans un premier temps la synergie s’avère donc informelle, ce n’est qu’ensuite que les entreprises insèrent des caractères techniques et des contraintes, car en effet elles ont besoin de garantie derrière un premier contact, mais cette mise sous contrat n’empêche pas la confiance.
En conclusion de cet entretien, pour compléter notre recherche, nous avons souhaité regarder les perspectives de progression de l’écologie industrielle dans la région Rhône-Alpes. Florence Charnay affirme que le Conseil Régional va tout faire pour que cette thématique se généralise. L’écologie industrielle a un avenir car nous connaissons une période où les entreprises veulent réduire les coûts.
Or l’écologie industrielle représente un très bon argument dans ce sens. Voilà pourquoi la région peut œuvrer non seulement en faveur de la pérennité des entreprises mais aussi du respect de l’environnement.
- Entretien téléphonique avec Dimitri Coulon.
Nous souhaitions interroger un acteur principal d’un projet d’écologie industrielle réussi. L’étude du projet COMETHE, dont l’objectif est de concevoir des outils d’aide à la décision pour la mise en œuvre de l’écologie industrielle sur un parc d’activités ou un territoire, nous a amené à étudier le site du Pouzin en Ardèche. Il était tout à fait logique de nous renseigner, pour approfondir notre sujet, auprès des acteurs qui ont mis en œuvre avec brio ce projet industriel. Dimitri Coulon, responsable qualité et environnement du CNR et notamment coordinateur sur le site du Pouzin, a volontiers accepté de nous répondre.
Dans un premier temps, Dimitri Coulon a remis dans son contexte le projet du Pouzin à travers une explication de l’activité du CNR. Le CNR gère 3 activités principalement : la production d’énergie hydroélectrique avec la gestion de 18 barrages en France, le développement du transport fluvial et l’aménagement d’infrastructures pour le milieu agricole (gestion de l’irrigation). Le site du Pouzin est né grâce à une volonté des collectivités territoriales d’accroître l’attractivité de la ville en créant une plateforme portuaire. En 2006, l’activité industrielle est encore peu développée au Pouzin, et la ville est petite. « On se situe dans le ventre mou de la vallée du Rhône » nous dit-il. Le CNR s’est d’abord intéressé à mettre en place des projets en rapport avec la production d’énergies « vertes » (éoliennes, photovoltaïque) avant de se lancer dans la création de la plateforme portuaire.
Nous nous sommes ensuite interrogés sur les motivations qui ont poussé le CNR ainsi que les collectivités territoriales à mettre en œuvre les principes de l’écologie industrielle sur le site du Pouzin. Si la partie sud était dédiée aux activités de production d’énergies, la partie nord était au cœur d’une réflexion des acteurs locaux. « À travers le projet COMETHE, il y avait une envie d’engager une réflexion sur comment commercialiser un site en utilisant les principes de l’écologie industrielle en tenant compte de ce qu’il y avait autour du site ». En réalité, l’écologie industrielle était l’unique possibilité qui s’offrait au site pour être commercialisé : peu de demandes, faible trafic, faible activité industrielle. L’écologie industrielle était donc un moyen de valoriser le site du Pouzin. Par ailleurs, le maire du Pouzin aspirait à un réel développement économique de sa ville. Son engagement et son implication était sans faille. De là, et pour creuser le sujet, nous avons questionné Dimitri Coulon sur le rôle joué par les collectivités territoriales, et notamment le rôle joué par le maire du Pouzin, dans la mise en place de l’écologie industrielle sur le site du Pouzin. La réponse a été sans équivoque : le facteur principal fut clairement le « portage politique du projet ». Sans la volonté du maire, « une conviction pendant toutes ces années » le CNR aurait sûrement baissé les bras. Pourquoi ? Le site du Pouzin ne faisait pas partie de leurs priorités et le coût était notable.
Il faut donc une volonté des acteurs économiques (un intérêt économique) mais également un grand appui des responsables régionaux et territoriaux pour mettre en œuvre des projets d’écologie industrielle. Au-delà de ce levier, il faut également percevoir un frein implicite mis en exergue par Dimitri Coulon. « Comment assurer un projet sur le long-terme avec les alternances politiques ? » : sans continuité dans le dossier, avec des personnes moins renseignées, voire pire, des personnes opposées au projet, la création de sites est plus longue que prévue et semée d’embuche.
De plus, il n’existe pour le moment « aucun dispositif ». Si le portage politique est primordial, il convient aussi de considérer le portage des entreprises elles-mêmes. Des fédérations d’entreprises qui portent le projet, avec conviction et volonté, font preuve d’un certain engagement crédibilisant de fait le projet. « C’est un puissant levier ». Enfin, il faut un accompagnement financier : l’installation d’un projet d’écologie industrielle a un certain coût au départ que les entreprises ne peuvent pas nécessairement avancer. Si le projet s’inscrit dans l’aménagement du territoire, les collectivités régionales et territoriales sont plus enclines à accompagner ce type de projet, qui peut par ailleurs être soutenu par le FEDER. Certaines régions aident plus ou moins les projets d’écologie industrielle, et selon Dimitri Coulon, « la région Rhône-Alpes est très en avance dans les dispositifs d’accompagnement ».
L’argent constitue un des leviers, mais peut aussi représenter, implicitement, un frein. Dimitri Coulon soulève un autre frein, relevant cette fois de la sphère légale. Sans contraintes liées à la loi, l’écologie industrielle se développe plus difficilement « tant qu’on n’a pas d’obligation à mettre en place des schémas de principe d’écologie industrielle, ça n’avance pas vite ». Bien évidemment, il faut voir au-delà des contraintes légales et considérer les volets économiques de l’écologie industrielle : économie de gestion et gestion des risques. Cela dit, « il faut [tout de même] instaurer des réglementations incitatives » qui sont aux fondements mêmes de l’écologie industrielle.
- Entretien téléphonique avec Clémence Roldan, anciennement Chargée de mission Ecologie Industrielle et Territoriale à Orée, et dorénavant employée par l’AIRM (Association des Industriels de la Région de Meyzieu, Jonage, Pusignan).
Nous l’avons tout d’abord interrogée sur le projet de référentiel national de l’EI lancé par Orée ; a-t-il été créé dans le but d’inciter les entreprises à mettre en place l’EI, afin de leur en montrer les points positifs et ce qu’elles y gagneraient ? Selon Clémence, ce référentiel n’a pas tout de suite été utilisé pour promouvoir l’EI, uniquement été créé parce qu’il manquait des informations à ce sujet, en effet il n’existait pas vraiment de référentiel clair. Dorénavant, si une problématique se pose à une entreprise, elle sait qu’elle n’est pas la seule à la rencontrer. Orée continue d’ailleurs à le mettre à jour.
Clémence nous a ensuite présenté l’origine de son poste actuel. Un projet de gardiennage mutualisé a été lancé, avec à la base de celui-ci des dirigeants d’entreprises. Cela leur permettrait d’avoir en permanence un gardien sur la zone, c’était donc pratique. Et puis il y a cinq ans, ces entreprises se sont lancées dans la « mobilité », en créant un plan de déplacement inter-entreprises, car on avait remarqué un manque de voiture individuelle pour les employés. Le directeur d’une entreprise s’est rendu compte du « terreau assez fertile », d’une zone composée de bon nombre d’entreprises avec pas mal de flux, d’une gestion des espaces verts mutualisée sans produit phytosanitaire, et la gestion des déchets dangereux ou non.
Ensuite en 2013, la région Rhône-Alpes a fait un appel à projet en finançant un bureau d’études et une personne qui l’anime, c’est à ce moment que Clémence a commencé à travailler pour l’AIRM. Elle détenait déjà l’expérience d’Orée, donc elle connaissait déjà les freins et les leviers à la mise en place de l’EI. Selon Clémence il faut toujours avoir une personne référente, de cette manière on a les projets les plus intéressants. Par ailleurs, quand l’idée part de l’entreprise le projet a le plus de chance d’aboutir. Une autre condition est qu’il faut de l’animation pour que les gens soient à l’aise lors des rencontres pour créer de la confiance entre les entreprises ; c’est pourquoi l’AIRM met en place trente animations par an pour les dirigeants, et qu’un club a été créée, qui réunit les différentes entreprises quand elles ont les mêmes problématiques même si elles ne produisent pas la même chose. Le Rôle de l’AIRM est également de rencontrer les adhérents pour savoir quels sont leurs problèmes, plutôt que de leur proposer des projets qui ne les intéressent pas.
Comme nous l’avons suggéré, le rôle de l’animateur est important, par contre il faut du temps, car la mise en place de l’EI nécessite un changement de comportement, ce qui n’est bien sûr pas évident, de changer la manière d’être de l’entreprise. C’est pourquoi même de beaux projets peuvent « tomber à l’eau », on ne va pas toujours jusqu’au bout. Mais rien que le fait d’avoir une animation est vraiment important selon Clémence, que les entreprises se rencontrent.
Par la suite, Clémence nous a énuméré quelques exemples de projets que l’AIRM a aidé à mettre en place. C’est le cas du TAMTAM, un service de sites d’annonces en ligne ouvert uniquement aux adhérents, qui postent une annonce pour poser des questions à toutes les entreprises du groupe. Il peut s’agir par exemple de problèmes de déchets : au lieu de jeter un objet dont elle ne se sert plus, l’entreprise concernée propose de le donner sur ce site. Ou bien si une entreprise trouve que le réseau de transports n’est pas adapté, notamment que le premier tramway arrive trop tard pour ses employés, celle-ci peut s’adresser aux autres entreprises du réseau, ce qui génère plus d’impact pour changer les transports en commun. Clémence nous a également rappelé que si une certaine entreprise, comme cela a déjà été le cas, veut opacifier ses bâtiments par rapport aux rayons du soleil, une autre entreprise qui a déjà été concernée par ce problème peut alors la conseiller.
Ce TAMTAM n’est donc d’après Clémence qu’un réseau tout simple, mais qui permet de retirer « l’épine du pied » d’une entreprise, qui existe uniquement parce qu’il y a une animation, tout cela dans le but de créer une synergie sur un territoire d’entreprises.
Cependant, un autre exemple de synergie était lié à des entreprises qui avaient un projet de récupération de chaleur fatale, sauf que l’entreprise en question s’est dit qu’elle s’engageait sur plusieurs années, alors qu’elle aurait pu faire des changements en interne pour limiter cette chaleur perdue. Voilà pourquoi il ne faut pas s’attendre à ce que l’animateur soit toujours utile : dans certains cas l’entreprise préfère opérer des changements sur son propre fonctionnement plutôt que de le lier à une autre entreprise. Après tout, si elle peut réduire par elle-même ses déchets, autant le faire plutôt que de prendre le risque de lier sa production à une autre entreprise.
De plus, une autre limite est que beaucoup de petites entreprises préfèrent les services mutualisés, car elles n’ont pas assez de moyens pour les grosses synergies. Il vaut mieux dans ce cas agir à plus petite échelle.
D’après Clémence Roldan, la fonction de l’animateur est de s’insérer dans la routine d’une problématique rencontrée par certaines entreprises. Par exemple, Clémence a rencontré le cas d’un salarié qui voulait acheter une voiture électrique, mais désirait se renseigner sur les aides qu’il pouvait obtenir, dans ce cas l’animateur l’a redirigé vers une entreprise qui a rencontré ce cas de figure par le passé.
Quand nous avons souhaité connaître les freins principaux à l’élaboration de l’écologie industrielle, Clémence nous a évoqué un exemple qu’elle a connu. Il s’agissait de terrains sous lignes à haute tension commercialisés pour être vendus ; mais on a eu beaucoup de mal à les vendre, or quelques grosses entreprises avaient des objectifs d’énergies renouvelables avec un certain mal à les atteindre. Il y avait donc possibilité de concilier les deux objectifs : un projet d’installation de panneaux solaires thermiques pour relier deux entreprises a été mené, avec un porteur de projet. Cela semblait donc prometteur, mais le principal frein fut que le projet nécessitait un engagement de dix ans au minimum, à cause des lourds travaux et des forts investissements nécessités. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, même les deux entreprises, existant depuis cinquante ans ont hésité à s’engager, car le monde économique « bouge trop vite ». Un engagement de long terme est donc parfois trop risqué, lorsqu’on ne sait pas ce qu’il adviendra d’une entreprise dans quelque temps.
D’après Clémence, il ne s’agit pas de mauvaise volonté de la part des entreprises, mais simplement de la crainte des conséquences possibles sur leur activité. Certes, des aides existent, mais les investisseurs ne peuvent s’engager davantage.
De plus, les énergies renouvelables sont plus couteuses ; et un frein que l’on retrouve sur de nombreuses synergies, c’est notamment que l’investissement est séparé entre très peu d’acteurs, peu d’entreprises, donc si même une seule entreprise sort du circuit, cela représente une problème pour toute la boucle. Entre quelques entreprises, la situation n’est pas la même que dans les réseaux de chaleur entre de multiples foyers par exemple ; dans le cas des industries, lorsque seulement trois acteurs ou moins sont présents, si l’un se désiste, cela créé un manque à gagner conséquent pour les entreprises.
Voilà pourquoi les investisseurs tiers ne sont pas prêts à s’engager ; ils ont la conviction que cela représente un énorme risque pour seulement deux ou trois acteurs.
Nous avons alors voulu savoir quelle pourrait être la solution à ce frein qui semble empêcher tout engagement. Selon Clémence, un des leviers serait une assurance qui « prendrait le pari » que le projet réussisse. Or l’AIRM s’est renseignée, en France ce système d’assurance n’existe pas ; tandis qu’au Royaume-Uni c’est le cas, il s’agit alors d’assurances « atypiques », c’est-à-dire qui ont l’habitude de risques improbables. Voilà une idée qui pourrait être intéressante ; cependant : est-ce qu’il y aurait assez de projets pour que cela soit rentable pour les assurances, et ne serait-ce pas trop coûteux aux entreprises de s’assurer ?
L’interview a ensuite révélé un autre frein intéressant. Pour réaliser une synergie, il faut tout d’abord trouver deux entreprises qui ont la même « vision des choses ». Or sur les cent entreprises avec lesquelles Clémence Roldan travaille, seulement une vingtaine a l’envie de « voir ailleurs », autrement dit de ne pas rester « seules dans leur coin », mais de s’allier à d’autres.
Par ailleurs, même lorsqu’une entreprise veut par exemple réutiliser des containers déjà utilisés par une autre, alors cette dernière peut se retrouver embêtée parce que ses containers sont déjà gérés par une entreprise de récupération. Cela peut donc créer des problèmes de logistique qu’une entreprise tierce veule réutiliser dans son processus de production des déchets déjà pris en charge, c’est pourquoi on ne peut pas être sûr que cela vaille le coup, bien qu’il y ait une volonté de réutiliser de création de synergie entre deux entreprises.
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Nous avons voulu ensuite savoir si le levier économique est primordial pour qu’une entreprise veuille se lancer dans un projet d’écologie industrielle. Selon Clémence, certes ce levier est très important mais pas toujours suffisant ; en effet parfois bien que des services d’écologie industrielle se retrouvent moins chers l’entreprise n’accepte pas le projet. Pour qu’elle se lance dedans il est aussi nécessaire que celui-ci soit très rentable ou bien que d’autres atouts soient présents à côté. Cependant, sans condition de rentabilité à la base il est inutile de leur proposer quelque projet que ce soit. Mais il faut en plus d’autres leviers à côté, et pas de freins trop contraignant, comme une logistique différente entre autres. Par exemple, un projet a émergé : de déchets en cartons posés directement par les entreprises de façon à ce qu’ils soient revendus ; pourtant Clémence n’y croit pas car cette idée ramènerait très peu de gains, mais demanderait en contrepartie beaucoup de contraintes, de déplacement et de stockage.
En ce qui concerne le problème de l’engagement dans le long terme, Clémence pense que puisque la collectivité a l’habitude de s’engager et peut être sûre d’être présente encore dix ans après, des partenariats entreprise-collectivité seraient intéressants. Cependant, il suffirait que cette entreprise se fasse acheter par un autre groupe qui ne voit pas l’intérêt du projet pour que celui-ci prenne fin : les failles sont donc constamment présentes.
Par ailleurs, Clémence pense qu’il est nécessaire que les intermédiaires telle l’AIRM aillent rencontrer les entreprises pour voir quelles sont les problématiques. En effet il est nécessaire qu’une entreprise soit face à une entrave, car lorsqu’elle ne rencontre aucun problème l’entreprise aura plus de mal à s’intéresser aux solutions que propose l’écologie industrielle : elle n’en ressent pas le besoin. Par exemple, si un prestataire gérant les déchets d’une entreprise ferme, alors l’entreprise se retrouve avec ces déchets ; celle-ci veut alors essayer de s’en débarrasser : l’AIRM a donc un levier d’action important pour présenter les solutions que pourrait apporter l’écologie industrielle.
Il semble donc nécessaire d’être présent sur le terrain, de s’adresser directement aux entreprises pour avoir plus de poids. Ce lien peut apparemment s’effectuer sous forme d’entretien individuel ou suivant le modèle Mist, venant d’Angleterre : un groupe conséquent d’entreprises se réunit et elles affichent les problèmes qu’elles rencontrent, de façon à se rattacher à des entreprises qui pourraient répondre à leurs problématiques ou qui y ont déjà été confrontées.
Enfin, Clémence a trouvé important de signaler que l’AIRM représente une association d’entreprises payée par les adhérents, par conséquent les entreprises ont confiance en ses représentants. Alors que les bureaux d’études ne font généralement pas de suivi, se déplacent seulement ponctuellement, ont peut-être des intérêts cachés. En ce qui concerne l’AIRM au contraire, il n’y a pas de problème de confidentialité, par conséquent on peut penser que son travail est plus efficace. De la même façon, le travail des collectivités n’est pas forcément le plus efficace, puisque les élus n’ont pas forcément les mêmes objectifs que les entreprises, ou lorsque plusieurs collectivités sont représentées par différents partis, cela devient très compliqué de pouvoir mettre en place une synergie. Tandis que Clémence, dans son poste à l’AIRM, détient une liberté d’action, elle peut agir vite – même si les délais peuvent paraître longs aux entreprises ; il s’agit du « problème de temporalité » entre entreprises : le monde industriel évolue très rapidement tandis que les acteurs qui s’en occupent sont souvent plus lents.
Pour finir, lorsque nous avons demandé à Clémence ce qu’elle pense de l’avenir de l’écologie industrielle, elle nous a répondu que les projets sont de plus en plus présents, ils se développent. Selon notre interlocutrice, l’écologie industrielle n’est pas du tout révolutionnaire, mais bien logique, de nombreuses entreprises la mettent en place, mais ne la nomment tout simplement pas de cette manière. L’écologie industrielle représente finalement un concept assez banal, comme entre un fournisseur et l’entreprise qui l’emploie. L’idée, le rôle d’organisations telle l’AIRM est juste de généraliser ce concept entre des personnes, des chefs d’entreprises qui ne se connaissent pas, de créer un lien.